“Ce que je peux dire de cette dimension.
Aussi d’après les questions récurrentes.
La contorsion peut être une capacité, un art, une utopie, et éventuellement un métier quand l’expertise est grande. Elle peut prendre la forme d’un spectacle, d’un sport extrême, d’une composante de la gymnastique et de certains yogas, d’un numéro du cirque, d’une matière plastique, d’un plaisir, d’une introspection. Dans certains pays, elle est un folklore, et dans certaines croyances, une dimension même du culte.
Je crois que l’origine de la contorsion, très ancienne étant donné les peintures et sculptures représentant des contorsionnistes que l’on trouve d’autres millénaires, peut être tout simplement ludique, ou extraordinaire. Ma professeur disait “Il s’agit sans doute d’un jour où un enfant s’est amusé, comme toi, à se retourner, à se plier, et l’idée est née spontanément.“. Alors, bien entendu cette remarque restait symbolique, minimaliste, et n’avait pas la prétention de constituer réellement une explication historique, elle a probablement dit ça aussi pour m’encourager, pour que je m’identifie à la question de façon confiante et accessible, car j’étais déjà passionnée, et elle est une personne profondément humaine. Mais cela m’a touché, car il y avait là une vision douce qui représente bien une découverte possible, pour moi ce fût en effet d’abord et avant tout un jeu. Non pas de l’antinaturel donc, mais de l’ultranaturel. Il est devenu progressivement source de sensations agréables, puis a transmuté en rêve, et en faculté, issue de la combinaison d’une prédisposition, et d’un volume de travail immense et vécu, avec enfin l’idéal de les transcender au profit du sens, en création.
Il existe différents axes de contorsion, car il existe plusieurs techniques de contorsions dites avant, arrière, dislocation, et enterrologie, qui est un néologisme qui désigne le fait de s’immiscer dans des espaces exagérément exigus, tel qu’une boîte pour citer le plus connu. Il y a autant de différence entre les types de contorsions, qu’entre différents langages, ou l’apprentissage de différents instruments de musique. Un contorsionniste peut en exercer un ou plusieurs, mais la plupart sont spécialisés dans un sens plutôt qu’un autre. La contorsion avant consiste à se plier dans le sens avant du corps, jusqu’à faire passer le buste sous les membres, ce qui donne souvent un rendu comique, ou des impressions de boules, de masses. La contorsion arrière, consiste à se plier dans le sens arrière du corps, soit celui de la cambrure, ce qui n’a rien à voir avec l’avant, et donne un effet gracieux et éventuellement incroyable, avec des lignes et des équilibres, relevant de la souplesse, mais aussi d’une force importante acquise pour soutenir son propre poids sur chaque membre, voir les poids d’autres dans le cas de portés, et aussi d’un travail précis de la proprioception. Par exemple, les artistes mongoles et chinois sont des référents connus de cette contorsion car ils vont en arrière, et souvent de façon extrême. Par ailleurs, la dislocation consiste à faire vriller ses articulations sur elles-même, ce qui est la contorsion la moins rependue, et la plus improbable, cela produit un style démembré, désossé, irréel. Par exemple l’individu pourra alors marcher avec ses jambes retournées dans l’autre sens que celui naturel, ou retourner sa tête à l’envers comme dans un film d’horreur. Cette technique reste un mystère, même pour la plupart des contorsionnistes qui n’ont pas d’informations sur cette condition physique, et les dislockers sont peu dans le monde. Certains danseurs tel qu’en danses urbaines évoquent parfois la dislocation dans leurs gestes, mais même si cela peut être réussi, sans la pratiquer formellement, ils arrêtent l’exploration aux déboitement des épaules généralement, le reste étant une autre pair de manches qui ne s’imite pas. À ne pas confondre, il existe par ailleurs un syndrome produisant un état physique d’hyperlaxité nommé Ehlers-Danlos, qui peut être grave, et qui n’a rien à voir avec l’art ou la profession. En fait, contrairement à l’idée reçu, la contorsion n’est pas recommandée aux personnes réellement hyperlaxes, chez qui le squelette risque de manquer de gainage, et de ne pas pouvoir en acquérir suffisamment pour compenser et se maintenir même avec énormément de travail, il est donc recommandé d’être seulement naturellement souple, sans que ce soit de l’ordre de l’anomalie. Aussi, de nombreuses personnes qui l’ignorent elles-mêmes peuvent avoir une grande possibilité à s’assouplir, ce qui est une forme imprévisible de prédisposition. Sachant que la plus belle motivation reste l’envie de le faire, il existe même des personnes normalement constituées, ou même relativement raides, qui parviennent à force d’une persévérance convaincue à augmenter le niveau d’amplitude de leurs positions jusqu’à la contorsion. Mais cela reste rare et souvent moins abouti tout de même.
Il existe différentes approches de la contorsion, des approches distinctes de la pratique, la contorsion artistique, la contorsion extrême, et il existe même de la contorsion loin des projecteurs.
La contorsion artistique a pour orientation de réaliser des créations chorégraphiques. Son alphabet est la maîtrise de mouvements et de postures de souplesse, ce qui ne constitue pas une finalité en soi, mais un moyen, comme en danse. Sa production est considérée comme substantielle lorsqu’elle est originale, et le prolongement d’une personnalité, ou le véhicule d’un récit. Il s’agit d’un instrument de composition, à l’initiative d’un artiste et de son expression singulière.
La contorsion extrême a pour ambition d’être ultimement performative. Le pratiquant s’inscrit dans le défi permanent de repousser au plus les limites naturelles de son corps, et sans y associer nécessairement de volonté poétique. Comme il semble que ce soit le cas de toutes mises en situation d’excès intentionnelles, cela se passe en dépit relativement conscient des risques encourus contre la santé, qui n’est officiellement pas la priorité. Cette voie dans sa motivation est une fascination, et se rapproche en cela de celle du sport de compétition, dans une version sans médailles ni gloire, donc apparemment insensée. Aussi, la contorsion arrière fait partie intégrante de la gymnastique rythmique, mais n’en est pas le sujet revendiqué. Les carrières des contorsionnistes extrêmes trouvent donc le plus couramment leur place dans des mises en scènes peau de chagrin, relais actuels de l’ancienne foire qui les exploitait déjà avant. Ces parcours sont évidemment courts et entrainent davantage de séquelles, mais restent néanmoins très appréciées du public sensible au sensationnel, ce qui favorise malheureusement des entraineurs peu scrupuleux à éprouver des individus jeunes et malléables dans le but d’en faire des sources de rentes, comme les dresseurs le fond avec les animaux sauvages. Cela donne une image redoutable à notre art, alors confondu, et même parfois résumé à ce seul cas de figure, le plus pathétique, alors qu’il n’en est qu’un, certes problématique, mais parmi d’autres. Ceci dit donc, lorsque cette approche est un choix délibéré d’une personne adulte, on peut estimer en revanche que cela équivaut à faire de la course de moto ou de la boxe tout seul. Pourquoi pas si l’on veut, l’intérêt réside alors dans le fait d’aller loin en terme de niveau, car sinon les inconvénients peuvent être les mêmes, sans avoir pour autant accédé aux avantages, ce qui arrive le plus couramment. Si l’on est attiré par cette direction, je dirais de bien conscientiser ses souhaits, ses objectifs, qu’ils restent réalistes, et de se méfier de l’effet ni pour ni contre bien au contraire qui produit des petits monstres inquiets.
La contorsion existe loin des projeteurs, comme ingrédient ancestrale de certaines prières et de certains yogas. Elle semble aussi utilisée comme transe dans des cultures notamment asiatiques, dont à vrai dire je ne sais que peu de choses. De ce à quoi j’ai accès depuis ma fenêtre occidentale, de ce que j’en ai expérimenté, et si j’en crois ce qu’elle produit lorsqu’elle est pratiquée de façon comprise, est qu’il se peut que dans ces cas l’impulsion soit celle de l’accès à un état de plénitude particulier qu’elle procure, à une immersion en soi, vers une qualité de concentration accrue, et un mental confiant, une forme ressentie de l’osmose. Dans ces cas le dessein n’est probablement pas l’accomplissement d’un spectacle, mais une donnée de la spiritualité, du développement personnel, de quête de bien-être. L’effet connu communément le plus approchant que j’ai trouvé pour se représenter celui procuré par la contorsion est la nage.
Il existe différentes utilisations scéniques de la contorsion, lorsque l’on est un artiste chorégraphique ou un performeur, il existe globalement deux façons d’explorer l’écriture. La contorsion peut-être utilisée par le numéro, ou par la discipline.
Le numéro est un exercice de quelques minutes, aussi appelé Attraction au cabaret, la plupart du temps issu de mois, voir d’années de préparation pour son unique conception, et aillant pour vocation de présenter un travail souvent démonstratif, bien que ce ne soit pas une règle, mais une recette rependue. La démarche d’un spectacle de numéros, est de partitionner le temps du spectacle entier en tableaux distincts et isolés, chacun d’auteurs autonomes dans leurs propositions respectives, et chacun dans le développement de l’interaction avec le public qui lui convient d’aborder. Pour le figurer, le spectacle en numéros est l’équivalent d’un patchwork, comme pourrait l’être par exemple une exposition de photographies, où chacune serait celle d’un photographe différent, sans forcément de lien de sens ou de style entre les images. Dans le cadre du cirque dit traditionnel, le déroulement de ces interventions est souvent disposé et présenté par le directeur, appelé Monsieur Loyal lorsqu’il anime et annonce, du nom du premier dans cet exercice. Il est aussi souvent le propriétaire du lieu et le producteur, et est la plupart du temps à l’origine du casting des numéros, sur lesquels il n’est pas censé intervenir artistiquement, car en principe il les sélectionne déjà complètement finalisés, remarqués dans le cadre de festivals internationaux prévus pour leurs donner de la visibilité précisément aux regards des professionnels. Ensuite, ils se jouent dans l’établissement pendant des périodes relativement longues dites saisons. L’artiste appelle communément l’articulation de son numéro sa routine, ce qui ne suppose pas de lassitude à son exécution contrairement à la connotation du mot, il s’agit plutôt d’une formule pour désigner l’entrainement, les répétitions de la chose en dehors des moments où il se déroule en piste. Le choix de devenir artiste d’un numéro, à haut niveau, représente un choix de taille, il s’agit d’un réel investissement, dans la mesure ou souvent, cette formule sera donc le fruit d’un travail harassant, mais aussi l’unique objet de la carrière même de l’artiste. En générale, il produit le même tout au long de la durée de son activité sans forcément en changer de sa vie entière, y apportant simplement des améliorations et des modifications, l’interprétant ainsi un nombre incalculable de fois quasiment à l’identique. Pourtant, beaucoup travaillant ainsi racontent avoir le sentiment que chaque représentation est unique et différente, ce qui laisse penser que cette formule les satisfait. En somme, avoir un vrai numéro revient à en faire une partie de soi. On reconnait un vrai numéro au fait qu’il soit exceptionnel et inimitable.
Par exemples, les cirques Bouglione, de Moscou et de Pékin, ou le Cirque du Soleil, sont des productions qui présentent des numéros.
Travailler par la discipline, dans ce sens ne désigne pas la rigueur, mais la matière, une façon d’utiliser la capacité. Lorsqu’il s’agit d’un spectacle en une seule pièce, comme souvent au théâtre, dans le spectacle de danse, dans le cirque dit contemporain, le théâtre physique, ou le cinéma burlesque, l’artiste interprète un personnage, ou une intention, au sein d’un ensemble cohérent, et unitaire. La contorsion peut alors être utilisée comme compétence au service d’un personnage, par exemples détenant un pouvoir surnaturel, de créatures d’animaux, d’abstraction ou autres, qui utilisera la souplesse pour s’animer, se déplacer. Cela revient à donner forme à une idée dans un univers. C’est le cas lorsque le contorsionniste joue un rôle intégré à une pièce en qualité d’élément, d’acteur, où il répond à un dialogue, où il incarne une partie de la dimension. Cela peut être sur scène, pour le cinéma ou la photographie.
Par exemples, Buster Keaton et Charlie Chaplin utilisaient dans leurs films l’acrobatie en discipline, et les spectacles de James Thierrée et de Sidi Larbi Cherkaoui utilisent régulièrement la contorsion en discipline pour modeler leurs personnages. Rubberlegz est un contorsionniste avant et danseur référence, spécialisé dans cette utilisation, dont il incarne une forme d’accomplissement de par son inventivité hors pair, et dont il révèle notamment en toute humilité dans sa composition auprès de Wiliam Forsythe, l’intrigante étendue des possibles.
Pour ma part, la contorsion est avant tout une perception. De la sensation d’harmonie qu’elle me procure, j’aime chercher à la porter vers une esthétique personnelle, voluptueuse, et comme tout mouvement, en perpétuelle métamorphose.”
Elena Ramos
1 June 2018
Art, Event, Mode